« La valorisation, c’est la clé ! »
Etape fondamentale dans le processus de levée de fonds, la valorisation d’une start-up est un exercice complexe, âprement négocié entre le fondateur et les investisseurs, et qui a des conséquences en matière de dilution de capital.
La France compte désormais seize « licornes ». Le 23 juin dernier, c’est Aircall, spécialiste de la téléphonie d’entreprise dans le cloud, qui a rejoint ce cercle restreint de sociétés tech non cotées en Bourse, dont la valorisation dépasse le milliard de dollars. Mais en quoi consiste la valorisation d’une entreprise ? Elle correspond à sa valeur de marché à un instant précis et constitue une étape capitale pour préparer une levée de fonds. Pour François Lissar, « tout part d’une valorisation, c’est la clé ! »
« Dans la chronologie de la vie d’une start-up, explique cet expert-comptable au sein du bureau luzien du cabinet de conseil Sogeca, dès que les modes de financement traditionnels, argent personnel, love money, subventions, etc., diminuent et que le projet reste viable avec du potentiel, il faut envisager une levée de fonds pour faire entrer de l’argent frais, et cette levée de fonds ne peut se faire que sur la base d’une valorisation. Mais c’est un moment délicat parce qu’il exige une négociation. Il faut parvenir à un partenariat gagnant-gagnant dans lequel le fondateur et les investisseurs ne se sentent ni l’un ni les autres désavantagés. »
« Valeur stratégique »
Mais quelles sont les méthodes utilisées pour déterminer la valeur d’une société ? Contrairement à des structures traditionnelles, pour lesquelles la valorisation s’effectue sur des bases d’existant, les start-up, qui sont des sociétés à fort potentiel mais avec très peu d’existant, ne peuvent bénéficier de méthodes basées sur l’historique des comptes. « Nous ne sommes pas à la tête d’entreprises classiques, donc, pour nous, les ratios économiques ne sont jamais très bons comme base de valorisation », confirme Vincent Clabé-Navarre, fondateur de Message In A Window, la start-up biarrote qui organise des campagnes de communication dans les vitrines de magasins, d’hôtels et de restaurants partout en France. Les start-up doivent ainsi tenir compte des risques et des incertitudes, mais aussi de l’anticipation de revenus. Une approche qui se veut prospective. On parle alors de « valeur stratégique ».
« Prenons l’exemple d’une start-up qui perd de l’argent mais qui a réuni une communauté de fidèles qui apprécie son produit et qui l’utilise, détaille Vincent Clabé-Navarre. La valeur, dans ce cas-là, est fondée sur un actif, un peu immatériel, qui correspond à la communauté que la société a réussi à rassembler. Chez nous, nos actifs, ce que l’on a construit comme valeurs, c’est la technologie - il n’y a que nous qui savons faire ce que l’on fait - et une base de données de 400 000 commerçants. Tout cela est palpable. »
DCF ou « comparables », deux méthodes
Dans cette perspective, la méthode la plus courante pour valoriser une start-up demeure celle des discounted cash flows (DCF). « Elle consiste à actualiser les flux de trésorerie sur la base des futurs cash flows que la start-up va générer, décrit François Lissar. Mais c’est une méthode qui comporte de possibles écueils : un démarrage d’activité peut-être trop optimiste, des charges sous-évaluées, un taux de croissance du chiffre d’affaires trop optimiste, des problématiques de besoin en fonds de roulement (BFR), ou encore un financement du cycle d’exploitation qu’on a sous-estimé et qui impacte forcément les cash flows. »
L’autre méthode de valorisation retenue par notre expert-comptable est celle dite des « comparables » : « Il existe aujourd’hui une base de données de levées de fonds pour des start-up. Elle permet de se comparer et de valoriser l’entreprise en fonction de ce qui a été fait pour une start-up équivalente. On essaie donc de situer l’entreprise par rapport à une concurrence sur la base d’une unité de valeur, que l’on doit déterminer, le nombre d’utilisateurs ou d’autres variables… » Ces différents repères permettent ainsi à une start-up de se positionner sur le marché. « Si elle a quelques premiers clients, une très bonne idée, un marché qui semble intéressant, donc du potentiel, la première levée de fonds peut se négocier autour d’un million d’euros », souligne Vincent Clabé-Navarre, qui a déjà procédé à trois levées de fonds.
Qui dit levée de fonds - et donc augmentation du capital - dit dilution lorsque les fondateurs d’une société voient diminuer leur pourcentage de détention du capital social de l’entreprise. Une expérience vécue chez DAB Motors. Basé à Technocité, ce constructeur de motos de micro-série entièrement personnalisables en ligne a finalisé en décembre dernier sa première levée de fonds. « Il était important pour moi de rester majoritaire, confie Simon Dabadie, son fondateur et gérant. Si de nouvelles levées de fonds ont lieu à l’avenir, il faudra peut-être accepter de ne plus l’être, mais ça ne change pas forcément la prise de décisions puisque, généralement, le fondateur incarne la vision de la boîte. »
Les actions de préférence
« Quand on est entrepreneur, il faut être dans une bonne dynamique pour « lever » bien, dans de bonnes conditions, à une bonne valeur, qui permet de ne pas trop se diluer », conseille Vincent Clabé-Navarre.
« Il peut y avoir dissociation entre le capital et le pouvoir, prévient de son côté François Lissar. Souvent, ce qu’exigent les fondateurs, c’est d’avoir des actions prioritaires de vote double pour garder le pouvoir. Ils veulent ainsi garder la main mise sur le développement de la structure en dépit d’une dilution en termes de capital. » L’exemple le plus emblématique concerne le pionnier des réseaux sociaux : Facebook. Son fondateur Mark Zuckerberg a mené une âpre négociation afin de détenir 58% des droits de vote alors qu’il ne dispose que de 13% du capital de la société. C’est ce qu’on appelle les actions de préférence. « Elles confèrent à leurs détenteurs des droits différents d’actions ordinaires, souligne l’expert-comptable. Il existe des actions de préférence avec des suppressions de droit de vote pour les investisseurs si l’on veut que l’investisseur initial garde les pouvoirs. On peut aussi avoir des actions de préférence avec des droits au bénéfice plus forts pour des investisseurs. »
La valorisation représente donc une étape fondamentale. Plus elle est élevée, plus la start-up a de la valeur et plus l’actionnaire historique est en position de force. En revanche, plus elle est faible, plus les nouveaux investisseurs, qui injectent de l’argent frais, sont en mesure de négocier et sont censés avoir du pouvoir…