Les promesses des biomatériaux
Tout au long de son histoire, l'humanité a trouvé des éléments naturels pour créer des objets. Jusqu’à la révolution du plastique. Né au XIXème siècle, le plastique, matière issues de la pétrochimie, a envahi dès les années 1950 tous les domaines de la vie quotidienne, des emballages aux peintures, en passant par les carrosseries des automobiles, les coques de bateaux, les meubles, les jouets, les vêtements et chaussures, le matériel médical, dans un inventaire quasi infini. Mais ces matériaux aux propriétés remarquables (légers, résistants, isolants…) sont aussi une plaie pour l’environnement. Chaque année, jusqu'à 13 millions de tonnes de plastique se retrouvent dans les océans, faute d'être recyclés. A ce rythme, en 2050, le poids du plastique sera plus lourd que celui des poissons marins dans l’océan. Surtout, les microplastiques, ces résidus issus de la décomposition des matières plastiques, contaminent toute la chaîne alimentaire.
Trouver des alternatives aux plastiques est un enjeu qui concerne aujourd’hui toutes les filières et tous les secteurs d’activité. D’autant que la réduction du recours aux ressources fossiles, indispensable pour tenir les engagements de l’Accord de Paris, n’impacte pas uniquement les consommations liées aux dépenses énergétiques (chauffage, transport). La pétrochimie absorbe en effet 14% de la consommation mondiale de pétrole et 8% de la demande globale de gaz (chiffres de l’AIE en 2017).
Dans ce contexte, le développement de biomatériaux devient une nécessité au vu des enjeux écologiques. Et si les progrès des biotechnologies et de la chimie du végétal ont permis de mettre en place des procédés de transformation de matières premières biosourcées en biomatériaux écologiques et compétitifs, il reste encore à faire pour développer les biomatériaux et diversifier les sources d’approvisionnement.
Le potentiel des océans
Dans ce cadre, les algues et les matières naturelles issues des océans offrent des perspectives prometteuses. C’est justement pour explorer leurs propriétés qu’a été créée en décembre 2018 la chaire de recherche MANTA (pour MAriNemaTeriAls) au sein de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, avec le soutien de la Communauté Pays Basque. Portée par Susana De Matos Fernandes, Professeure associée à l’UPPA et spécialiste des matériaux fonctionnels biosourcés, cette chaire est tournée vers le biomimétisme, c’est à dire des solutions inspirées du vivant. Les recherches portent notamment sur l’algue rouge, fréquente sur la côte basque, dans une approche durable. « Nous développons des biomateriaux et bionanocomposites qui pourraient dans un proche avenir trouver des applications cliniques et industrielles. Nous avons pour objectif de répondre aux problèmes de société liés à la santé humaine et à la dégradation de l’environnement marin. Pour cela nous développons des techniques permettant l'extraction de molécules et de bio-polymères issus de produits marins, rendant ainsi possible leur transformation en structures poreuses, films, hydrogels et matériaux composites pour des applications cosmétiques, biomédicales et packaging », explique Susana De Matos Fernandes. La société Les Laboratoires de Biarritz, partenaire de la chaire Manta, utilise déjà les applications de ces recherches, notamment les propriétés les acides aminés mycosporine issus des algues rouges qui absorbent les UV, avec son actif breveté Alga Gorria®.
Une approche locale
Si les matériaux naturels sont une source d’innovation et de recherche, leur utilisation s’inscrit dans une démarche d’économie circulaire au plus près du territoire. Le parcours d’Iletegia en est un exemple marquant. Cette entreprise, née en 2014 de la volonté de ses fondateurs, Aitor Zubillaga et Aña Andiazabal, de valoriser la laine du Pays basque, a réussi à développer toute une gamme de produits à partir de laine de brebis manex, trop longtemps délaissée et considérée comme un déchet. Convaincu du potentiel de ce matériau naturellement isolant, respirant et ignifuge, le duo a renoué avec des savoir-faire ancestraux et investi pour fabriquer matelas, sacs, couettes et désormais du fil de laine Manex pour la confection d’articles de décoration ou de tapis. Autant d’alternatives aux matières synthétiques.
Des procédés moins polluants
Mais l’origine naturelle des matériaux ne fait pas tout. Les procédés de transformation ont aussi leur impact. C’est notamment le cas de l’industrie textile dont les activités, fortement émettrices en gaz sont aussi une source de pollution des eaux et de l’air. Aujourd’hui, les fibres naturelles, comme le coton ou le lin reviennent en force. Mais la question de leur traitement est aussi à prendre en compte, notamment en matière de teinture. Ce constat a amené l’entreprise luzienne Couleur Chanvre à développer un procédé unique de teinture 0% pour ses tissus en chanvre et lin d’origine française. Ce process, fruit de plusieurs années de recherche, bannit tous les produits chimiques toxiques, irritants, allergisants et perturbateurs endocriniens qui sont largement utilisés dans l’industrie textile. Une démarche qui vient renforcer les engagements de l’entreprise, tournée vers une fabrication artisanale et locale, à l’image de son dernier projet, une espadrille conçue uniquement à partir de chanvre et de lin, de la tige à la semelle, en partenariat avec le fabricant mauléonnais Zétoiles.
Dans le bâtiment et l’aéronautique
L’industrie textile n’est pas la seule à devoir se réinventer. Gros consommateur de matériaux, le secteur du bâtiment est aussi largement concerné par la nécessité de développer des biomatériaux. Signe de l’évolution en cours, les députés ont adopté en avril un amendement prévoyant un objectif de 25 % de matériaux biosourcés dans les constructions et rénovations publiques à partir de 2028. Et la nouvelle réglementation RE 2020, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2021, incite à recourir aux biomatériaux qui permettent de réduire l’empreinte carbone de la construction. Au Pays basque, l’iSABTP développe ainsi des méthodes constructives qui font appel à des biomatériaux comme le béton de chanvre ou la terre crue. Nobatek Inef4 est également engagé dans le développement de matériaux composites innovants à partir de ressources naturelles, notamment de déchets agricoles. Des biocomposites sur lesquels travaille également Compositadour, par exemple pour créer des plaques en bambou destinées au secteur aéronautique ou encore des composites isolants à base de fibre de lin pour les fusées Ariane. Autant d’exemples du potentiel de développement des biomatériaux.