L’aéronautique verte décolle
Pour le secteur aéronautique, frappé par la double crise sanitaire et climatique, le « monde d’après » s’annonce résolument décarboné. Et placé sous le signe de profondes mutations technologiques. En septembre dernier, Airbus annonçait vouloir développer un avion 100 % hydrogène d'ici à 2035 (programme ZEROe, pour « zéro émission »). L’avionneur européen a récemment tempéré cet optimisme en précisant que la majorité des avions de ligne voleront encore au kérosène… jusqu’en 2050.
Mais l’hydrogène vert a le vent en poupe. Dans son plan de relance, la France a décidé d’investir 7 milliards d’euros pour développer la filière avec l’objectif de réduire les émissions de CO2 et atteindre la neutralité carbone.
La transition énergétique, c’est justement le credo de Pragma Industries. L’entreprise biarrote, la seule au monde à proposer un vélo à propulsion électrique alimenté par une pile à combustible hydrogène, met aujourd’hui son savoir-faire au service du secteur aéronautique, à travers plusieurs appels à projets.
Un défi de taille
L’un d’entre eux, porté par Blue Spirit Aero, consiste à étudier le comportement de piles à combustible sur des petits avions de quatre places destinés aux aéro-clubs. « Ce programme, explique Olivier Savin, cofondateur de cette start-up basée près de Toulouse, consiste à comprendre leurs performances lorsqu’elles sont assujetties à des contraintes aéronautiques comme de fortes accélérations et de forts taux de montée et de descente. On part d’une pile à combustible de 200 W, qui équipe aujourd’hui les vélos de Pragma, puis on va monter en puissance pour tester une pile de 2 kW, puis de 10 kW. » Le premier vol d’un prototype est programmé pour fin 2024, l’entrée en service des premiers avions espérée fin 2026. Le défi est de taille. « Le kérosène pour les avions et les turbines à gaz pour les hélicoptères, très denses en matière d’énergie et de puissance, sont difficiles à remplacer dans le domaine aéronautique, concède Pierre Forté, cofondateur de Pragma Industries et ancien ingénieur chez Dassault. Arriver avec des technologies concurrentes, c’est très difficile, tout simplement parce qu’il faut être concurrentiel sur ces deux critères-là ! L’objectif ultime est de parvenir à utiliser l’hydrogène pour la propulsion d’aéronefs. »
Pragma en pourparlers avec Safran
En attendant, les géants du secteur, tels Airbus et Liebherr Aerospace, testent l’hydrogène pour des applications « secondaires », notamment pour remplacer le kérosène nécessaire au roulage des avions sur les pistes - synonyme de diminution des nuisances sonores - ou encore pour fournir l’électricité nécessaire aux servitudes de bord.
« Nous sommes également en pourparlers avec Safran Power Units, une filiale de Safran Helicopter Engines spécialisée dans les systèmes de puissance non propulsive, pour travailler sur des problématiques de soutien technique au sol d’un hélicoptère, révèle Pierre Forté. Plutôt que de faire tourner sa turbine, on se servirait d’une pile à combustible pour alimenter un groupe électrogène qui le maintiendrait sous tension électrique. »
Au cœur du site technopolitain Technocité, à Bayonne, la société Akira Technologies, spécialisée dans la conception et la réalisation de systèmes de conversion d'énergie et de bancs d'essais spéciaux, met elle aussi son expertise au service du secteur aéronautique - qui constitue 30% de sa clientèle. Avec là-aussi un objectif ambitieux : utiliser l’hydrogène non pas comme élément capable d’alimenter une pile à combustible, mais comme carburant.
Turbopropulseur hybride chez Akira
« Nous travaillons sur l’adaptation de certains de nos moteurs pour qu’ils puissent brûler de l’hydrogène mélangé à de l’air plutôt que du kérosène, confie le directeur d’Akira Sylvain Loumé. Ces moteurs ne dégageraient donc pas d’hydrocarbure, ni de CO, ni de CO2. Il s’agirait de combustion décarbonée. »
La PME basque s’illustre également dans le domaine de l’hybridation. Depuis six mois, elle mène un projet de R&D soutenu par le Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac), subventionné par la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), qui consiste à développer un turbopropulseur hybride sur la base d’un moteur à réaction. Comme l’explique Sylvain Loumé, « il propose à peu près 200 kW de puissance, auquel il faut ajouter un certain niveau de puissance électrique qui pourra être utilisé pour soutenir la partie thermique dans certaines phases de vol, mais aussi pour améliorer son opérabilité, c’est-à-dire augmenter ses marges de sécurité en termes de risque d’extinction, de pompage et de survitesse. » Le premier essai de ce turbopropulseur, qui servira d’outil de R&D aux grands motoristes aéronautique, est prévu en 2023.
Technocité attend le Turbolab
L’autre projet audacieux d’Akira Technologies se nomme Turbolab : un banc d’essai dédié à l’étude et la mise en œuvre de la propulsion aéronautique dite innovante, qui couvrira à la fois l’hybridation, les carburants alternatifs et la propulsion tout électrique. « Il s’agira d’un outil mixte qui sera utilisé à la fois pour l’enseignement, la recherche et l’industrie, se félicite Sylvain Loumé. Le volet enseignement-recherche sera porté par la Technopole Pays Basque via l’Estia et les centres de transfert technologique, et le volet industriel par Akira. Le tout sera mis en musique par la Communauté Pays Basque qui se chargera de la construction du bâtiment abritant le Turbolab à Technocité ». Son exploitation devrait débuter en 2023.
« J’ai confiance sur le fait qu’on utilise petit à petit moins de kérosène et plus d’autres sources d’énergie, conclut Pierre Forté. Mais la question, c’est combien de temps cela va prendre ? Une rupture technologique dans l’aéronautique prend un quart de siècle avant d’arriver à maturité et d’être en exploitation commerciale. Mais certains font déjà voler de petits avions à piles à combustible, comme ZeroAvia, une jeune start-up basée à Londres et en Californie. A plus court terme, la seule alternative réaliste, c’est une conversion vers des carburants fossiles verts, des bio-carburants fabriqués de manière synthétique, neutres en carbone. »